jeudi 7 avril 2016

Metal Gear Solid V : The Phantom Pain

/!\ Ceci n'est pas un test, mais une tentative d'analyse thématique du jeu. Ce texte est donc rempli à ras bord de spoilers. Si vous comptez faire le jeu (ce que j'aurais tendance à vous conseiller), il vaut mieux ne pas lire la suite.

Beaucoup de rédacteurs l'ont écrit : MGSV est un jeu frustrant, imparfait. Son final est brutal, incomplet même : une vidéo tournant sur internet montre les concept-arts et cinématiques en construction d'une cinquante-et-unième mission jamais terminée, et absente du produit final, alors que pourtant elle apportait une fin concrète à une série d'éléments narratifs installés dans l'intrigue, et qui restent actuellement sans conclusion. Je ne serai pas étonné d'apprendre qu'une proportion très importante des joueurs, après avoir terminé la dernière mission de l'aventure, se soient rués sur internet pour découvrir comment avoir accès à la suite, ne se doutant pas qu'ils étaient véritablement arrivés au bout du contenu (narratif en tous cas). Le ressenti de ceux-ci - dont je fais partie - est alors indubitablement négatif : dépossédés d'une conclusion véritable à un jeu auquel ils viennent de consacrer un nombre d'heures considérable, et sachant que Hideo Kojima - directeur de la série aujourd'hui renvoyé du studio - ne pourra sans doute jamais ajouter ce final absent à sa création, il n'est alors possible que de se sentir puni, privé de quelque chose, et malheureux de n'avoir aucun élément auquel s'accrocher sinon cette petite vidéo de vingt minutes, témoin indubitable que notre peine est légitime.

Le jeu, comme vous le savez sans doute si vous l'avez terminé, se divise en deux parties. La première est la plus longue, la plus logique en terme de missions, mais aussi la plus généreuse en contenu et en améliorations offertes au joueur. En effet celui-ci ne cesse de se retrouver gratifier de nouvelles fonctionnalités, compagnons, morceaux de base ou éléments à personnaliser. Le jeu semble - à l'image de la manne sans fond de saint Nicolas - une source infinie d'éléments nouveaux, enrichissant sans cesse un contenu pourtant très vite plus qu'intarissable. Cela additionné à un gameplay particulièrement complet, à des zones de jeu immenses remplies de ressources en tout genre et de collectibles rigolos : c'est un buffet à volonté qui n'a pas l'air d'avoir de fin, où tous plats sont délicieux et où aucune ombre ne semble se dresser au tableau. 


Puis, après plusieurs dizaines d'heures de plaisir ininterrompu, arrive la fin de la première partie, et la mort de l'antagoniste principal : Skullface. Privé de grand méchant, le jeu ne s'arrête pas pour autant : le deuxième chapitre s'annonce, et avec lui tous les griefs qui ont été imputés au jeu. En effet très vite ce dernier perd en cohérence : les missions principales sont remplacées par des versions difficiles d'opérations déjà terminées précédemment, et l'histoire avance de façon aléatoire en fonction de critères invisibles au joueur. Néanmoins, porté par un gameplay toujours aussi impeccable, et poussé par l'envie dévorante de savoir la suite, le joueur progresse à la hachette au sein du système et du rythme désormais tous deux bancals.

C'est loin d'être la fin de la frustration, car assez vite certains personnages clefs du scénario quittent eux aussi la trame du jeu. Dans le désordre, vous verrez partir (ou renvoyés de la base) Paz, Quiet et Huey. La première s'avère n'être qu'une invention de l'esprit de Snake, et ses quêtes associées ne servent finalement qu'à débloquer des cassettes audio relatant la situation sur la Mother Base précédente, à l'époque de Peace Walker, à un moment où l'ambiance au sein de l'armée privée de Snake semblait plus joyeuse, plus familiale. En plus du deuil (à retardement) du personnage de Paz, on doit donc affronter un étrange sentiment de nostalgie, et cela a - pour ma part tout du moins - considérablement refroidi mon rapport à la base et à aux petits soldats la peuplant. Plus intense encore est le départ de Quiet, qui est non seulement un personnage attachant - et qui aura suivi beaucoup de joueurs lors de leurs missions, mais qui disparaît avec toutes les améliorations achetées pour elle, ce qui représente un certain investissement en terme de temps et de ressources. Sa disparition est donc doublement douloureuse, et ressentie autant de façon émotionnelle que concrète dans le système du jeu.



Enfin, le renvoi de Huey va de pair avec une autre déception : la preuve définitive qu'il s'agissait d'un traître et d'un lâche, qui a non seulement agit contre Snake et les Diamond Dogs, mais qui a même été jusqu'à faire du mal à sa compagne et son fils. C'est une révélation d'autant plus difficile à avaler que son alter-égo dans les autres jeux de la série (Hal, son fils) est un personnage bien plus positif, incarnation du scientifique naïf qui pense sincèrement œuvrer pour le bien alors qu'il est dans l'erreur, puis qui se repend et se met à se battre activement aux côtés de Solid Snake, afin de racheter ses fautes passées. Huey ne profite pas d'une telle rédemption, et n'est même pas capable de s'avouer à lui même ses propres crimes. Il nie jusqu'au bout, même face aux preuves accablantes de sa culpabilité,  refuse de faire face à son meurtre, et fini seul, rejeté par ses anciens alliés.C'est donc à l’innocence présumée d'un personnage qui jusque là avait pourtant l'air particulièrement humain que le joueur doit dire au revoir, en plus du personnage lui-même.

Finalement, lors de la dernière mission scénarisée du jeu, on apprend que le Snake que l'on jouait depuis le début n'était pas le véritable Big Boss, mais un PNJ jusqu'alors sans importance aux yeux du joueur, et que le véritable Snake est ailleurs, sans morceau de shrapnel dans le front, et avec ses deux mains entières. Le joueur est privé du personnage qu'il pensait jouer, de la légende qui allait avec, et d'une grande partie de l'enjeu de la vengeance. Soudain l'immensité de la Mother Base semble dénuée de sens, et cela ne va qu'en s'aggravant quand l'on se rend compte qu'il n'y a plus rien à faire ensuite : la mission 51 n'existe pas, il n'y a pas de boss de fin, on ne saura jamais comment Venom Snake a arrêté Eli, et si c'est bien lui qui a détruit le sahelanthropus. A l'image du bras de son avatar, le joueur se voit amputé d'une partie de son jeu. Et contrairement à la fin de MGS2 où Raiden brisait le lien qui l'unissait au joueur au nom de la liberté, dans MGS5 le jeu ne s'arrête pas net, il continue, et reste gorgé de contenu, de missions secondaires et de fonctionnalités en ligne. Pourtant, il est vidé de son intérêt, et seule reste la frustration, la douleur fantôme d'un membre qui a existé mais dont on a été privé, définitivement.



Difficile de savoir si cet effet est volontaire, si Hideo Kojima a véritablement choisi de priver les joueurs de la fin de son jeu. Mais difficile aussi de nier que tout cela fait preuve d'une cohérence presque malfaisante. Le jeu est construit d'une façon si précise : un premier acte généreux, qui ne fait que de donner et de rajouter des possibilités au joueur, avant de ne faire que de le punir et le décevoir dans une deuxième partie bien plus amère, jusqu'à le priver de son personnage, puis d'une part du jeu lui-même. La sensation est alors unique : une forme d'incompréhension, suivie, dans le désordre par de la rancune, de la frustration, de la déception. Qu'il soit voulu ou pas, cet effet est particulièrement efficace, et aurait été bien moins percutant si la première partie n'avait pas été aussi majestueuse.  Peut-être y'a-t-il un lien à faire entre le fait qu'Hideo Kojima, renvoyé de Konami, a été brutalement séparé de la licence et des personnages qu'il a développé pendant des années, et du douloureux deuil que cela doit représenter. Mais à nouveau, difficile de définir dans le produit fini ce qui est conscient, inconscient, volontaire, imputé à des objectifs de temps et de moyens, des priorités de travail mal gérées, ou - peut-être - une démarche consciente, aussi tordue qu’extrême. La question se pose alors de savoir à quel point la volonté de l'artiste entre en compte dans la réception de ce qu'il nous présente.

Lors de son développement, Hideo Kojima avait annoncé que The Phantom Pain ferait vivre au joueur des sensations uniques au jeu vidéo. C'est chose faite, et qu'il l'ait désiré ou non, il a accouché là d'un jeu qui développe son thème d'une façon si efficace, cohérente et radicale, qu'il irait peut-être jusqu'à jusqu'à s'auto-mutiler afin de faire souffrir son public. Pas banal, ça non.

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